Les Libanais sont-ils capables de changement?


Les Libanais sont-ils capables de changement? À les observer toujours faire l’inverse de ce qu’ils prétendent appeler de leurs vœux, on peut en douter.

Que dire de ceux qui crient sur tous les toits que le problème au Liban est la non-application des lois alors qu’ils roulent en scooter sans casque, conduisent dans un état d’ébriété avancé, font des travaux le dimanche et les jours fériés, mettent de la musique à plein tube jusqu’à pas d’heure en pleine semaine, s’arrêtent au milieu de la route pour discuter avec un copain et ainsi bloquent la circulation, tout comme ceux qui se garent n’importe où, en double file, en triple file, à l’entrée des ruelles et des impasses?

Que dire aussi des militants et des collectifs de la société civile qui fustigent les disputes incessantes des politiciens alors qu’ils ne sont pas foutus de se mettre d’accord sur la moindre chose et que se saboter les uns les autres est leur passe-temps favori? Et de ceux qui brandissent l’étendard de la démocratie, des droits de l’homme et de la liberté d’expression alors qu’ils n’hésitent pas à se faire rémunérer à partir de pays où il n’y a ni démocratie ni droits de l’homme ni liberté d’expression?

Que penser des médias qui mentent, diffament, tronquent les informations pour servir leur idéologie ou leurs patrons, font tout ce qui est en leur pouvoir pour que toute parole contradictoire soit bannie du débat public, mais hurlent à la mort de la liberté quand la justice fait son travail et cherche à appliquer les lois? Et de ceux qui dénoncent les politiciens "voleurs", et se présentent en alternative à la classe politique, alors que toute leur campagne de communication est volée à un mouvement politique européen? Et de ceux qui vomissent les corrompus alors qu’ils ont dans leurs rangs des corrompus notoires? Sans oublier les politiciens qui se posent en défenseurs des droits de la femme alors que l’un de leurs principaux porte-paroles a impunément justifié le viol?

Que penser également des grenouilles de bénitier qui dissertent à longueur de journée sur l’amour, le partage, l’abnégation et la tolérance alors que leurs actions sont mues par la haine, l’égoïsme, l’hypocrisie et l’intolérance? Et de ces gens de "bonne famille" qui vendent leurs filles au ventru le plus offrant, ces gens "comme il faut" pour qui les relations humaines ne sont basées que sur l’intérêt personnel et les avantages financiers qu’ils peuvent en tirer? Et des gens bien élevés, civilisés et instruits qui ont transformé les rares trottoirs de Beyrouth en chiottes pour chiens? Et des chantres du patriotisme qui hantent les salons feutrés des ambassades et leur obéissent au doigt et à l’œil?

Je pourrai continuer longtemps à citer les contradictions flagrantes et la schizophrénie hallucinante de mes chers concitoyens. Je pourrai aussi citer Gandhi et disserter sur le "sois le changement que tu veux voir dans le monde". Ou faire comme les Nostradamus et les Madame Soleil télévisuels et prédire, malgré tout, un avenir radieux plein de miel et d’encens. L’ennui c’est que je ne vois rien de tout ça, et je suis certain qu’aucun changement politique et sociétal n’aura lieu. Pas tant que les Libanais refuseront de se remettre fondamentalement en question et d’arrêter de jeter toujours la responsabilité de ce qui ne va pas sur les autres. Et ça, c’est pas gagné.


© Claude El Khal, 2018

Photo : RvDario