L’étrange visite de Michel Aoun en France


Étrange visite d’État que celle du président libanais en France. Surtout que cette dernière a mis les petits plats dans les grands pour honorer son hôte. Mais au delà du faste et des beaux discours, que peut-on retenir de cette visite? Pas grand-chose en réalité.

D’habitude, c’est accompagné d’une importante délégation ministérielle qu’un chef d’État en visite un autre. Le but, parfois inavoué, est de signer le plus grand nombre de contrats possibles, dans le plus de domaines possibles, entre les deux pays. Le décompte de ces contrats est en général l’unique mesure pour affirmer qu’une visite est réussie ou, au contraire, qu’elle n’a pas produit les résultats espérés.

Ce qui frappe dans la visite d’État de Michel Aoun en France, c’est l’absence d'une importante délégation ministérielle et la signature d’aucun contrat. Outre l’aspect symbolique personnel pour le Général, autrefois exilé en France après avoir été vaincu et chassé du palais présidentiel de Baabda en 1990 par l’aviation et les chars syriens, cette visite a un goût d’inachevé.

Certes le président français a enchaîné les jolies formules et n’a pas tari d’éloges envers son homologue libanais. Certes ce dernier a été reçu avec toute la pompe dont est capable la République française. Certes on a mis en avant les intérêts communs de la France et du Liban. Mais le désaccord sur des sujets majeurs entre les deux hommes était criant. Notamment à propos des réfugiés et déplacés syriens, et bien évidemment d’Israël.

Michel Aoun a insisté sur l’impératif d’un retour rapide de ces réfugiés et déplacés dans leur pays, alors qu’Emmanuel Macron aimerait les garder là où ils sont, dans les pays voisins de la Syrie. Quant à Israël, le président français est un ami déclaré et un allié de l’État hébreu. Il l’a encore répété lors de la dernière visite de Benyamin Netanyahu à Paris, durant laquelle il a sévèrement critiqué le Hezbollah. Alors que pour le président libanais, Israël est l’ennemi du Liban et le Hezbollah, allié indéfectible de Aoun depuis plus d’une décennie, un élément essentiel de la défense du pays contre les visées guerrières israéliennes.

Finalement, après cette visite d’État où l’apparat a largement dominé, rien n’a vraiment changé entre le Liban et la France. Si Michel Aoun avait besoin de cette visite pour renforcer son prestige international et son autorité sur la scène locale, il est difficile de comprendre les motivations d’Emmanuel Macron.

La France a-t-elle la volonté de revenir au Moyen-Orient, notamment en Syrie, par la porte libanaise? Peut-être. Mais un tel retour reste un vœu pieux s’il n’est pas accompagné de la signature d’importants contrats économiques, militaires et culturels qui affermissent et étendent la présence et l’influence de la France au Liban.

Quant à la République libanaise, même si son drapeau a orné les principales artères et édifices parisiens, l’aspect personnel, partisan et familial de la visite n’a pas aidé à grandir son image.

On aurait aimé voir les différentes forces politiques représentant les différentes communautés du pays se tenir, à travers leurs ministres respectifs, aux côtés du président, à l’Élysée, à Matignon, au Sénat et ailleurs. On aurait aimé voir cette fameuse union des Libanais au lieu d’en entendre parler. On aurait aimé être une nation en visite chez une autre, avec des ministres libanais qui rencontrent leurs homologues français pour discuter des dossiers importants et signer, au passage, quelques accords bilatéraux.

Finalement, la conclusion de cette visite plus fastueuse que productive peut se résumer par la fameuse formule libanaise : metel ma re7na metel ma jina. On est revenu comme on est parti, en touristes.


© Claude El Khal, 2017


Mise au point : après la publication de cet article, une lectrice proche de la présidence de la République libanaise m’a contacté pour souligner la différence entre une visite d’État et une visite officielle selon le protocole français. Et ainsi mieux expliquer le but de la visite de Michel Aoun en France.

La visite d’État est exclusivement protocolaire. La République française accueille et honore une nation amie à travers son chef d’État et la délégation qui l’accompagne. Au contraire de la visite officielle, la visite d’État ne prévoit pas de réunions de travail ou la signature d’accords bilatéraux. La délégation officielle de la nation honorée ne comprend donc pas forcément des membres de gouvernement en leur qualité de ministres en charge de tel ou tel dossier.

La visite de Michel Aoun en France était, comme l’a souligné à plusieurs reprises Emmanuel Macron, une visite d’État et non une visite officielle. Même si plusieurs médias français ainsi que le boycott du ministre libanais de l’Intérieur, Nohad Machnouk, qui a refusé de se joindre à la délégation officielle, auraient pu faire croire le contraire.


Par ailleurs, le président Macron se rendra au Liban au printemps prochain à l’invitation du président Aoun. Il devrait être précédé par plusieurs ministres français, et sans doute par le Premier ministre Edouard Philipe, pour une série de visites de travail en vue de renforcer les relations bilatérales.

On peut cependant regretter que la délégation officielle qui a accompagné Michel Aoun à Paris n’ait pas compris des personnalités qui représentent la diversité confessionnelle, sociétale et culturelle du pays. C’est cette diversité qui fait la richesse du Liban et qui fait de lui un pôle indispensable pour le dialogue des cultures et des religions, comme l’a préconisé le président libanais lors de son discours à l’ONU.