Bergerac, un petit coin de France au milieu de Beyrouth


Ce n’est un secret pour personne que Bergerac est mon restaurant préféré à Beyrouth. Je l’ai découvert il y a 4 ans alors qu’il venait d’ouvrir ses portes et que j’avais emménagé dans le même quartier. Etant une âme frère de Cyrano, l’endroit me semblait prédestiné. Depuis, Marc Naaman, le taulier, est devenu un ami et l’endroit ma cantine, où je puise mon inspiration et mes ivresses.

Etant très peu porté sur l’art de cuisiner – la dernière fois que je me suis essayé à la chose et que j’ai concocté un bon petit plat avec mes petits doigts, j’ai failli empoisonner la belle Suédoise que j’avais invité à dîner – je laisse aux autres, à ceux qui savent y faire, le soin de me nourrir et de nourrir les belles qui partagent parfois mes repas.

Quand Marc a renouvelé le menu en y ajoutant tout plein de bonnes choses, et a décidé de le publier en forme de petit livre, il m’a demandé d’écrire un petit texte pour l’y inclure, comme une friandise surprise au milieu d’un banquet.

Ce que j’ai évidemment fait avec grand plaisir. Et maintenant que c’est Noël, et que l’air du temps se prête à ce genre de choses, j’ai eu envie de lui faire un petit cadeau et de publier ce texte sur mon blog, espérant que nombre d’entre vous qui sont au Liban ou qui y viennent pour les fêtes de fin d’années viendront partager avec moi mon amour de ce petit coin de France au milieu de Beyrouth.

Bergerac, un art de vivre

Il y a des endroits somptueux, grandioses, presque mussoliniens. On y entre comme dans un palais, impressionné, humble devant tant de splendeur. Il y en a d’autres qui sont à la pointe du design, épurés, virginaux, tout en transparence. On y pénètre en faisant attention, presque sur la pointe des pieds.

Ces endroits-là, on y va pour pousser des oh et des ah. La bouche en cul de poule et le petit doigt levé vers un ciel incertain. On s’y assoit avec prudence. Puis on n’ose à peine bouger de peur de casser quelque chose. Et quand la nourriture est servie, on cherche désespérément à comprendre ce qu’il y a dans l’assiette. Une assiette souvent géante, où quelques ingrédients se battent en duel dans une présentation prétentieuse. Puis, quand arrive la facture, on est heureux d’avoir fait toutes sortes d’exercices cardio-vasculaires, sans lesquels l’apoplexie serait garantie.

Si vous êtes amateurs de ce genre d’endroits, si, pour vous, aller au restaurant signifie manger mal, manger peu et en fin de repas vous faire fusiller par une addition qui tient plus de la multiplication, alors passez votre chemin, Bergerac n’est pas pour vous.

Mais si vous aimez vraiment manger, faire ripaille, si la bonne chère vous séduit autant qu’une belle femme ou un bel homme, si vous aimez faire danser vos papilles gustatives, et délecter votre palais de saveurs amoureusement concoctées, alors vous êtes au bon endroit.

Au Bergerac, vous ne trouverez rien d’autre que la passion de la cuisine, l’amour du travail bien fait et le plaisir absolu des bonnes choses de la vie. Le décor est charmant, familier, accueillant comme un chez soi. Les plats ont la truculence de Cyrano. Et le vin, la poésie de ses saillies.

Au Bergerac, manger est un art de vivre. De bien vivre. Vivre pleinement, profiter de chaque instant, de chaque bouchée, de chaque goutte de vin. C’est aussi un art d’aimer. Passionnément. Sans réserves et sans chichis. Comme Cyrano a aimé la liberté.

Bon appétit.


© Claude El Khal, 2016